Voilà, ce n’était plus sa maison, elle était en train de lui échapper, il le ressentait très fort. Pourtant, ils n’avaient même pas encore mis leur appartement en vente, mais l’un des agents immobilier venus l’expertiser pour qu’ils puissent fixer un prix pour leur attestation sur l’honneur jointe à leur convention de divorce, l’avait déjà fait visiter, avec leur accord, et le acheteurs voulaient signer le compromis le plus vite possible. Ils ne voulaient rien signer avant que le divorce ne soit prononcé ou au moins dans la dernière ligne droite, la dernière semaine et cela le repoussait d’un petit mois.
En plus, ils avaient demandé un délai un délai de six mois pour la vente définitive, le temps pour eux de rechercher à se loger, chacun de son coté bien sûr Il avait donc encore plusieurs mois à passer dans l’appartement, alors pourquoi cette impression qui ne le quittait pas depuis le matin ? Il regardait différemment les choses, le parquet du salon, que a femme avait lustré avant la visite des acheteurs éventuels, le volume de cette pièce -son prochain salon serait forcément plus petit-, le bahut Espagnol, trop encombrant, qu’ils allaient donner, la table console extensible que sa femme allait récupérer (il l’avait acheté avec leur remariage), le Sereno sculptée en bois qui appartenait à sa femme ainsi que la tête sculptée par le frère de Ricardo Boffil à laquelle elle tenait beaucoup. Lui allait récupérer certains cadres accrochés aux murs, dont deux de lui, son tableau préféré achetée lors de leur première croisière, son vélo d’appartement.
Leur dernier déménagement remontait à dix sept ans, quand ils avaient choisi ensemble de s’installer ici après leur remariage, et il se souvenait du bonheur qui avait entouré leur arrivée à tous les quatre. Ses plus grands bonheurs, il les avait toujours ressentis en famille, enfin, il parlait des bonheurs durables, pas des coups de cœur, même si certains s’étaient avérés intenses. Il avait calculé récemment que c’était son treizième logement en France et son quatrième avec sa femme, le dernier cette fois ci. Il se souvenait plutôt bien des trois précédents, surtout les deux premiers où ils avaient été heureux, sauf à la fin, après leur décision de divorcer une première fois. Il avait quelques photos et quelques films, mais ils étaient centrés sur leurs enfants , leurs familles ou eux mêmes et pas sur les appartements eux mêmes, et il avait un peu de mal à se rappeler certains détails. Il était persuadé qu’en voyant des photos ou des films des appartements, il se souviendrait des bons moments qu’il avait pu y passer et avait décider de mitrailler cet appartement avant leur départ. Il prenait le risque de retrouver aussi les mauvais moments, mais il y en avait bien moins.
Il était conscient de la bizarrerie de sa décision qui voulait dire qu’il allait encore vivre dans le passé avec ces traces plutôt que dans le présent qui ne serait là que pendant la prie des photos. Mais, tant pis, il avait cette idée en tête et ne voulait pas y renoncer. Il ne voulait pas regretter de ne pas l’avoir fait, comme pour les appartements précédent. D’un autre coté, il se disait que ce dont il se souvenait des douze d‘avant était ce qui l’avait le plus marqué et il repassa en revue dans sa tête l’appartement de ses parents, les trois chambres d’étudiant, les trois appartements où il avait vécu avant son mariage, les deux pendant son divorce et donc les trois autres avec sa femme, avant celui ci.
Il avait été le plus heureux dans trois des quatre appartements où il avait vécu avec sa femme, le quatrième, qu’il avaient habité quelques mois, était plutôt un mauvais souvenir et il ne voulait pas y repenser, pas à cause de sa femme ou de ses enfants, mais à cause de sa localisation et de l’insécurité qu’il avait ressentie à cette époque là.
N’allait-il pas trop regretter ce dernier appartement lorsque qu’il serait installé dans le nouveau, forcement plus petit, peut être moins confortable et où , de toutes façons , il sera seul. Il pourrait toujours ne pas regarder les photos si il avait peur de ça, c’était mieux que de vouloir les voir et de ne pas pouvoir. Pourquoi perdait-il son temps à penser à tout ça, c’était ridicule.
Il avait fait faire une cuisine équipée avant d‘aménager, la première qu’ils avaient choisie ensemble et elle était encore impeccable aujourd’hui ; ils n’avaient changé que le lave vaisselle qui avait rendu l’âme quelques année plus tôt, la lave linge, inusable allait fêter ses vingt ans. Il ne souvenait plus où ils avaient acheté la table de cuisine au dessus de marbre, sans doute sa femme l’avait elle choisie seule comme les carreaux de faïence type azulejos savamment organisés au dessus de cette table qui était poussée contre un mur. Il se souvenait de ces carreaux et du mécontentement de sa femme qui les avait choisis et agencés seule ; il avait voulu la laisser faire seule et elle le lui avait reproché, mais cela n’était pas grave.
Elle avait fait un tri de tout ce qui traînait dans cette cuisine et l’avait rangée, et tous les produits entassés au sol ou sur les meubles avaient disparu et la rendait agréable comme aux premiers jours. Les innombrables bocaux d’épices avaient été rangés dans les meubles. Il se demandait comment on pouvait en posséder autant et à quoi elles pouvaient bien servir, mais sa femme était une excellente cuisinière et la question n’était donc pas pertinente. Un second congélateur, en plus de celui déjà intégré, provenait de l’appartement de leur fils que ce dernier avait donné en location en allant habiter ailleurs pour se rapprocher de son travail. Il était garni de magnets ayant échappé au grand nettoyage qu’elle avait fait : elle en avait jeté énormément, presque tous ceux qui ornaient les radiateurs. Elle en faisait collection et cela leur permettait à tous de savoir quoi lui offrir en rentrant de voyage.
Ils pouvaient manger dans cette cuisine mais ne l’avaient fait que très rarement. Elle écoutait la radio en cuisinant, elle passait beaucoup de temps dans cette pièce, aimant préparer des plats et des desserts qu’il appréciait énormément. Bien sûr, cela allait lui manquer et il allait devoir se débrouiller avec des plat cuisinés, quoiqu’il ait enregistré de cours de cuisine trouvés sur internet. Il n’avait déjà pas assez de temps pour mener à bien tout ce qu’il voulait faire, alors, prendre le temps de cuisiner en plus, il ne fallait pas trop y compter.
En sortant dans le vestibule d’entrée, il prit quelques clichés des deux fontaines qui l’ornaient : une grande et une petite, les deux achetées lors d’une foire de Paris, assez chers d’ailleurs. Ils ne les faisaient plus fonctionner depuis des années, ne supportant pas le bruit continuel de l’écoulement de l’eau. Pourtant « ça avait de la gueule » ces fontaines mises en valeur par un éclairage adapté. Ils avaient aussi trouvé à cette occasion un grand miroir décoré, avec le haut en demi lune, qui faisait une super impression. Allait-elle le garder ?
Il garda le salon pour la fin et rentra dans la chambre du fils, enfin celle qu’il avait occupée quand il habitait avec eux. Il se souvenait surtout du jour où le feu avait pris au dessus d’une armoire, un halogène ayant enflammé un sac, au grand affolement de son fils. Heureusement, le feu avait été vite maîtrisé, mais a femme avait du repeindre la pièce. Depuis, ils se méfiaient de ce danger. Il se rappelait aussi une dispute avec sa femme dans cette chambre, un jour où il avaient fait appel à un dépanneur, la serrure de la porte d’entrée étant bloquée et ce dépanneur, bêtement trouvé sur internet, ayant abîmé leur porte sans l’ouvrir. Il avait réclamé d’être payé, alors qu’une entreprise sérieuse était en train d’arriver, et il avait voulu payer pour se débarrasser ce triste sire qui les menaçait, alors que sa femme ne voulait pas. Finalement, il avait eu gain de cause et ils n’avaient jamais plus entendu parler de cet individu, au demeurant plutôt louche. Il n’avait pas d’autres souvenirs, n’étant que rarement rentré dans cette chambre occupé d’abord par son fils, puis utilisé par sa femme pour faire son vélo elliptique et repasser.
La pièce suivante avait servi plutôt de bureau et de chambre de dépannage, avec un clic clac prévu à cet effet. Il y avaient fait du classement, et installé l’imprimante et la broyeuse de papiers. Au début, l’ordinateur fixe de la famille puis celle de sa femme ornaient le bureau, mai aujourd’hui, il disposaient de portables et n’y venaient que pour imprimer ou scanner.
Du même coté que ces deux pièces se tenait la chambre de sa femme, la leur au tout début, puis rapidement la sienne. Il ne souvenait de pas grand-chose, juste des installations de téléviseur ou d’enregistreur de DVD, ce type d’appareil en principe simples à faire fonctionner mais qui posent toujours des problèmes un moment insurmontables. Tout matchait pour le moment…
En face se tenait sa chambre. Elle avait longtemps était occupée par a fille et le étoiles phosphorescentes collées au plafond en témoignaient. Quand il y avait dormi pour la première fois, il avait apprécié de les regarder avant de s’endormir, maintenant, il n’y faisait plus attention. Il se rappelait l’agencement de la pièce du temps où sa fille y vivait, avec la télévision, le bureau où elle pouvait poser son ordinateur portable qu’il avaient relié avec un fil qui courrait dans le couloir à la box du bureau, son petit meuble couleur acajou qu’il avait du jeter par la suite tant ils se déglinguait.
Il pensait que ses enfants avaient été heureux d’habiter là, comme ils avaient été également heureux d’en partir le moment venu. Lui passait peu de temps dans sa chambre, il y dormait après avoir lu systématiquement, chaque soir. A femme, par contre, passait une grande partie de ses journées dans sa chambre, sans doute pour ne pas partager le salon avec lui. Elle y regardait la télé, lisait et téléphonait. Lui n’avait pas de télé dans sa chambre, mai <sil lui aurait volontiers laissé choisir le programme si elle avait voulu venir dans le salon, mais cela n’avait pas été le cas : chacun de son coté. Cela l’aiderait peut être à accepter de vivre seul dorénavant.
Enfin, c’est ce qu’il se disait en sachant parfaitement que ce ne serait pas le cas, il avait besoin de sa présence pensait-il, même silencieuse.
Ils avaient chacun leur salle de bain. Lui avait partagé la sienne , en fait une salle d’eau avec douche et toilettes, avec leur fils, et elle, la sienne avec leur fille.
Il ne restait que le salon, quoique, peut être, il faudrait aussi prendre quelques photos de la cave et des deux places de parking.
Il y revint donc, c’était là où l’idée avait jailli. C’est là qu’il passait l’essentiel de ses journées, à lire dans son fauteuil releveur offert pour ses soixante ans par sa femme et ses enfants, à surfer sur internet ou à écrire sur son pc, à regarder la télévision, et, le matin à faire sa gymnastique et son vélo d’appartement. Mais c’était aussi là qu’il avaient reçu leurs famille et leurs amis. Cela faisait un bon moment qu’ils ne recevaient plus personne, mais il avait le souvenir des anciennes invitations, souvent à déjeuner, des bon moments passés ensemble.
Quand on lui demandait ce qu’il préférait dans la vie, il répondait invariablement : « passer un bon moment avec ma famille ou mes amis ». Et même si il n’avait pas toujours d’atomes crochus avec tous les gens qu’ils avaient reçus, il avait toujours apprécié ces déjeuners : l’évocation des souvenirs communs, les nouvelles de la famille ou des amis un peu perdus de vue, les histoires et les voyages à raconter, les projets, les interrogations, de temps en temps la politique, les spectacles, la santé, enfin tout ce qui fait des vies. Il essaya de se remémorer qui n’était pas déjà venu chez eux, et, malheureusement, la liste n’était pas si courte que cela, et il le regretta. C’était maintenant trop tard. Dans quelques mois, ils ne seraient plus la et ils n’invitaient plus personne.
L’agent immobilier leur avait dit que les acheteurs potentiels voulaient transformer sa chambre en cuisine américaine en faisant abattre la cloison la séparant du salon. Cette annonce, qui ne le regardait aucunement puisqu’ils auraient vendu, le perturba. Ils allaient détruire la chambre occupée par sa fille, et faire une chambre dans la cuisine ! C’était idiot comme réaction, il ne verrait pas ça, heureusement, et ces gens là avaient le droit de disposer de leur appartement comme ils le souhaitaient. Il n’avait jamais eu ce type de réflexion avant, lors des ventes précédentes. Il regardait sans doute alors plus vers l’avenir que vers le passé, il était plus jeune, bien plus jeune.
Finalement, quand il regarda toutes les photos prises, il fut déçu du peu de souvenirs heureux qu’elles lui évoquaient. Il en avait autant de ses appartements passés, sans images, juste avec ce qu’il avait en mémoire. Il se rendait compte que, plus ses souvenirs étaient anciens, plus ils lui semblaient nombreux. C’était classique quand on parlait des autres, mais moins amusant quand on parlait de soi.
Allait-il filmé aussi ? Oui, il devait le faire juste pour ne pas regretter de ne pas l’avoir fait, même s’il n’allait jamais se repasser ces films. Il se demandait ce que pensait sa femme de tout ça. Allait-il oser lui en parler ? Avait -elle de bons souvenirs de cet appartement ? Sans doute de son achat et de leur installation, comme lui, peut être aussi de la période où le enfants étaient là et du début de sa retraire, quand ils sortaient tout le temps, la semaine pour des visites dans Paris, des musées et des expositions, et le week-end au théâtre.
Cette période était définitivement close et il le regrettait, peut être que elle aussi. c’était comme ça, c’était la vie. Il filma donc, sans conviction, pour un future visionnage. Dans dix ans les choses auront changé se disait-il et je serai peut-être heureux de revoir tout ça !
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