Depuis quelques semaines il faisait chaque jour les mots fléchés de son quotidien. Avec le temps il arrivait à trouver presque tout et regardait la solution les rares fois où il lui manquait quelques mots.
Il en avait fait plus jeune et avait abandonné sans savoir trop pourquoi. C’est souvent comme cela, on fait quelque chose et on l’interrompt. Un mot difficile à trouver et le découragement survient? Une autre occupation, mais laquelle ? Un manque de matière ? A l’époque il n’était pas abonné à un quotidien et achetait des revues de mots fléchés. Bref, il avait arrêté et repris depuis peu.
Le samedi, ils couvraient une page entière et lui donnaient quelquefois du fil à retordre. Il devait s’y prendre en plusieurs fois pour en venir à bout, et, parfois, il renonçait à tout terminer.
Ce jour là, tout se passait plutôt bien et il avait trouvé pas mal de mots en haut à droite de la page. Il commençait à bien connaître certains définitions revenant régulièrement comme « habitante d’une certaine ville » permettant de trouver me pays ; marocaine égyptienne…. « graissas » pour trouver huilas, « parfaite » pour idéale etc.
Il avait déjà inscrit « père » « cote d’azur » « lycée » « diplôme » « auto » puis commença à sécher et partit sur la gauche vers un territoire encore vierge. Il eut un peu plus de mal et attaqua plus bas en trouvant trois mots.
La sonnerie de son téléphone le sortit de sa grille et il discuta dix minutes avec un de ses frères. Rien d’important mais il aimait bien avoir ses frères ou son ex-femme au téléphone et avoir régulièrement de leurs nouvelles. Ils étaient au moins en bonne santé. Il alla boire un coup en ajoutant un peu de thé glacé parfumé à la menthe à son eau du robinet. Il arrivait ainsi à boire un peu plus, d’ailleurs ses analyses de sang s’étaient améliorées sur ce point.
Il jeta un œil sur sa tablette au cas où il aurait un message sur facebook ou instagram et repris sa feuille de mots fléchés. Ne trouvant rien d’évident (il
aimait bien mettre les mots évidents pour se donner du courage) il mit radio classique pour avoir un fond sonore.
Il n’arriva pas à trouver le moindre mot, il y avait des prénoms, des noms de villes ou de rivière, pas le moindre « amour d’Aragon » pour Elsa ou « cadeau royal » pour Aneth. Le rédacteur avait voulu corser la donne sûrement !
Il laissa la grille et prit son livre du moment, un roman. Il alternait les essais et les romans et venait de terminer un « Michel Onfray » pour attaquer « la grâce » d’un auteur méconnu de lui. Il avait lu cent cinquante pages en deux jours et il lui en restait autant.
Il s’installa confortablement sur sa chaise longue dans sa loggia et se lança. Il avait avalé les pages et ne ferma le livre qu’à la fin du roman. Il n’avait pas pu l’interrompre avant. Il n’y avait aucun suspense puisque la mort du personnage avait déjà été décrite, mais le récit de sa vie le passionna. Il enviait cet homme d’avoir trouvé la grâce et donné un sens à son existence.
Ses recherches à lui avait été vaines. Il n’avait pas eu d’illumination comme Paul, évoqué dans cet ouvrages et pas de vocation comme François dont la vie été largement commentée.
Il reprit sa grille mais son esprit n’était plus vraiment libre pour ces mots fléchés et il décida de se tourner vers un mooc sur « Le Caravage ». Il regarda les quatre vidéos et lu les commentaires joints. Il apprit beaucoup de choses dont il allait oublier quatre vingt pour cents dans les jours suivants mais avait passé un bon moment. Il ne se sentait pas de reprendre sa grille, il allait la laisser pour le lendemain dimanche, jour sans quotidien donc sans mots fléchés. La nuit allait lui nettoyer la tête et lui faire trouver les mots. Il lu tout de même pas mal de définitions pour laisser du grain à moudre à ses neurones.
Avant de dîner, il zappa entre des tables rondes sportives et politiques en buvant un verre de chardonnay puis se mit à table en écoutant vaguement les informations du journal télévisé.
Un « James Bond » plus tard regardé en replay, il attaqua un nouveau livre dans sont lit, un essai puis se coucha.
Après son passage habituel aux toilettes le lendemain matin, il prit son petit déjeuner en regardant un documentaire animalier comme il le faisait depuis quelques semaines. Il avait pour un temps renoncé à ceux sur l’histoire traitant trop souvent de la seconde guerre mondiale ou de la montée du nazisme. Même si les points de vue différaient d’un film à l’autre, il avait envie d’autre chose et les animaux, c’était parfait. Il découvrait toute la richesse de cette vie et les difficultés pour survivre, se reproduire et élever sa progéniture.
Il ne pensa pas aux mots fléchés de la matinée. Il se balada une bonne heure, fit quelques courses, regarda ses mails, téléphona un peu et cuisina. Il s’était mis à la cuisine depuis son divorce et ne trouvait pas cela désagréable, surtout quand il arrivait à produire des trucs mangeables et parfois bons. Il s’était aussi lancé dans les desserts comme cadeau lorsqu’il était invité et recevait des compliments considérés comme sincères.
Après avoir dégusté sa tarte à la tomate agrémenté de salade et son fromage blanc parsemé de framboises, il se servit son café et fila sur sa terrasse pour profiter de sa chaise longue. Traditionnellement, il y lisait en attendant l’apparition du soleil lorsque celui -ci daignait se montrer. Pas de journal le dimanche, mais il lui restait ses mots fléchés à terminer avant sans doute une petite sieste.
En regardant la grille il se souvint des difficultés de la veille mais savait pouvoir compter sur sa réflexion de la nuit. Il eut du mal au début et bailla plusieurs fois, puis il trouva le premier mot, simple »Nice » ville où il avait passé son adolescence et où résidait une partie de sa famille dont son petit frère. D’autres mots se joignirent à ce premier et il remplit la moitié de la partie gauche du haut de la grille.
Un mot composé assez long lui permit de s’introduire dans la partie droite : « école de commerce » et il s’y balada le stylo à la main en remplissant les petits carrés blancs de ses lettres en caractère d’imprimerie. Il faisait attention de ne pas déformer les lettres pour pouvoir se relire, contrairement à ses premières expériences où il perdait trop de temps à déchiffrer ses gris-gris.
Il poursuivit et compléta assez rapidement la partie gauche du haut de la grille mais en éprouvant un certain malaise. C’était trop facile ! Quelque chose ne tournait pas rond ! Quand il écrivit successivement les prénoms de son père, de sa mère, de sa sœur et de ses frères il comprit pourquoi : tous les mots avaient un rapport avec sa vie, de plus ou moins loin mais indubitablement. Il continua pour en avoir le cœur net et compléta la grille facilement sur la droite en bas.
Il y trouva les prénoms de ses premiers flirt et de son ex femme, de ses meilleurs amis, de son lycée, de la société où il avait travaillé toute sa carrière, les noms des villes où il avait habité ou voyagé.
C’était dingue, il marquait les mots sans lever le crayon du journal ; ses écrivains et chanteurs préférés, les films dont il gardait un super souvenir, des titres, des noms de leurs évoquant quelque chose…
Tout cela commençait à l’inquiéter, comment savaient-ils tout cela ? « Big brother » n’était pas un mythe ? Il avait peur de poursuivre mais continua tout de même, rendu ivre par la vitesse et cette aventure extraordinaire.
Il restait un dernier mot dont il manquait juste une lettre « AST-COT ». Il hésita un moment puis se réveilla.
J'aime beaucoup cet univers bi-dimentionnel comme le roman envoyé, pas mal fichu d'ailleurs. Continuez à écrire... il y a du talent ! Bravo !