Java et Polka
Sourire a seize ans
Été de rêve
Leur photo à tous les quatre à la gare des bus a Grasse, en train d’attendre le car qui allait les mener à Valderoure où ils campaient tous les étés et bien sur, des tas d’images lui revenaient. C’était la première fois qu’il participait a l’Aubade donnée dans le village voisin de leur lieu ou ils avaient planté leur tente. Ils s’étaient levés assez tôt pour pouvoir y assister et avaient été acceptés par les autres jeunes du village et les adultes qui les accompagnaient. Il faisait chaud et les anciens leur avaient conseillé de faire attention de ne pas trop boire, l’alcool allait vite monter a la tête. En ce jour de fête du village, ils allaient de maison en maison, se regroupaient devant la porte et se mettaient a chanter sur un air d’accordéon des refrains qui sentaient bon la campagne et leurs parents.
Au début, il essayait de reprendre le refrain, mais au bout d’un certain temps, il avait appris aussi certains couplets et, l’alcool aidant, chantait de plus en plus fort. Après quelques chansons, les villageois, sortis sur le pas de leur porte pour les accueillir les faisaient rentrer pour boire un coup ou les recevait devant la maison en sortant les bouteilles et quelques amuses gueules. Le pastis était le roi de la fête, mélangé a de la menthe ou de la grenadine, ou sec, plus ou moins complété par de l’eau, plutôt plus pour les adolescents comme lui, plutôt moins pour les adultes. Lui demandait qu'on lui noie son apéro, mais la répétition fit qu’il commença à sentir sa tête lui tourner. Il se disait que ses yeux devaient briller aussi forts que ceux des autres et il se félicitait que personne n’ait pense à prendre des photos de leur prestation. Il n’était vraiment pas net quand l’Aubade se termina avec la visite à la maison du maire qui se fendit d’un petit discours, leur donnant rendez vous le soir pour la fête et le bal du village. Il était prés de midi et les habitants allaient se réunir chez les uns et chez les autres pour partager leur repas entre amis. Les adolescents du coin rentrèrent chez eux et ils rejoignirent leur campement pour déjeuner, ils en avaient besoin pour reprendre un peu leurs esprits.
Se restaurer ne suffit pas a chasser les vapeurs d’alcool et ils durent faire une bonne sieste sans demander leur reste et sans concertation. Ils avaient déjà exploré deux bals les samedis précédents ou ils s’étaient plutôt ennuyés, la majorité des filles qu’ils invitaient a danser étant déjà prises par les locaux, et celles qui n’étaient pas été surveillées de prés par un parent, un frère ou une sœur. Ils buvaient peu, devant rentrer ensuite et marcher sept à huit kilomètres à pied car ils étaient quatre et ne voulaient pas se séparer pour monter dans une voiture si on leur avait proposé, ce qui était, par ailleurs, peu probable (mais qui arriva souvent les années suivantes, une fois qu’ils furent connus dans le coin).
En se réveillant vers le milieu de l’après midi, ils allèrent se promener le long de la petite rivière qui courait à quelques dizaines de mètres de leur campement, sans chercher à capturer les truites qui devaient se balader de leur coté dans cet eau fraîche et claire. Ils mangeaient deux ou trois fois par semaine ces délicieux poissons cuits au beurre et accompagnés de pommes de terre bouillies. Ses copains lui avaient appris a pêcher et il commençait a se débrouiller après des débuts difficiles.
Sa première prise avait été fêtée comme il se doit au bar du village autour d’un «Gancia blanc», apéritif qu’il avait découvert pour l’occasion et jamais quitté depuis. Ils discutèrent de leur matinée et entonnèrent quelques chansons récemment apprises par lui, mais qu’un de ses copain connaissait beaucoup mieux, ce qui lui permettait de les relancer a chaque blanc. Ils chantaient un peu faux et vraiment fort, heureux d’être ensembles, de profiter de leurs vacances à la campagne. Ils ne rencontrèrent, comme souvent, personne et retrouvèrent leurs pénates . Ils devaient encore dîner et se changer pour rejoindre le lieu du bal, pour une fois sans avoir a marcher des kilomètres et des kilomètres. Malgré leur peu de succès des samedis précédents, ils s’encourageaient pour le soir, espérant tomber sur de nouvelles filles sympathiques en provenance des alentours.
De toutes façons, ça les changerait de leurs soirées habituelles à jouer aux cartes ou discuter avant de rejoindre leurs duvets. Ils entendirent la musique en approchant de la place du village, ils avaient propose d’aider pour préparer l’estrade des musiciens et la baraque de vente de boissons et nourriture diverse mais les villageois avaient préféré se passer d’eux, ils étaient assez pour le faire et avaient l’habitude. Sans doute ne voulaient ils rien leur devoir...Qu’importe, ils s’étaient proposés et peut-être pourraient-ils aider à remettre tout en état le lendemain matin.
Il y avait déjà du monde, certains visages leur étaient connus, d’autres pas. Bien sur, ils se dirigèrent vers la baraque de vente de boissons pour se donner une contenance, tout en reluquant les filles déjà arrivées et il la vit: jeune, quatorze ans, quinze ans?, châtain clair, cheveux aux épaules, en jeans et petit chemisier à manches courtes, un joli visage qui mettait en valeur ses yeux clairs, marron verts lui sembla t-il en passant à coté d’elle. Elle était accompagnée d’une jolie brune aux cheveux courts et d’une troisième fille a lunettes qu’il n’eut pas le temps de distinguer. Son copain de son age lui fit un clin d’œil pour lui montrer qu’il avait vu la même chose que lui. Pas de Gancia blanc disponible et ils se rabattirent sur des kirs.
Quelques couples d’adultes dansaient sur un tango, les filles étaient à quelques mètres d’eux et son copain lui prit son verre et le sien et les donna à garder aux autres en lui disant de venir. Il le suivit, ne pouvant faire autrement et ils invitèrent la jolie brune et sa princesse à danser. Elle ne le regarda pas en dansant mais au dessus de son épaule, mais il put bien voir son visage, ses joues , ses yeux. Il était ému de la tenir dans ses bras, il se demandait si son petit cœur battait aussi vite que le sien alors qu’il s’appliquait à bien danser. Il était plutôt bon danseur, il avait le sens du rythme, même des anciens et maîtrisait non seulement le tango, mais aussi la java, la polka et la valse, le slow bien sur, le rock pas mal, moins le pasodoble. Hélas, ils avaient pris le morceau en route et l’orchestre arrêta trop vite de jouer.
Ils se séparèrent quelques secondes et il s’entendit dire «on continue?» en entendant le début de la java qui suivait. Il entendit mal sa réponse mais la reprit dans ses bras, et ils dansèrent ainsi les trois morceaux suivants. Il aurait continue mais elle déclina le rock et partit s’asseoir à cote de la troisième fille, la jolie brune étant en grande conversation près du bar avec son copain. Il la lui présenta, il n’avait pas perdu son temps, il connaissait son prénom, ainsi que celui de ma princesse et de l’autre fille, savait ou elles habitaient – un village situe a huit kilomètres- et qu’elles avaient prévu un pique nique le lendemain auquel ils étaient invités, si ça leur disait.
Il était en admiration devant son copain, jamais il n’arriverait à être aussi doué que lui avec les filles, c’est vrai que son ami avait souvent « le ticket » avec elles, ça paraissait facile pour lui. Il accumulait de l’expérience et améliorait constamment sa technique, sans doute pas uniquement pour aborder les filles, mais pour la suite. Lui n’avait encore jamais embrassé sur la bouche, il s’en faisait un monde et n’avait jamais vraiment eu envie de le faire, sauf une fois avec une fille rencontrée sur la plage. Sa princesse était la petite sœur de la brune et elle avait un peu plus de quatorze ans. Trop jeune? Il espérait que non.
Il avait envie de la serrer fort dans ses bras et de l’embrasser. Ils dansèrent encore ensemble plusieurs fois et discutèrent un peu, mais elle n’osait pas trop et sa sœur et l’autre fille monopolisaient la parole. La soirée passa trop vite et elles durent rentrer en voiture en leur donnant rendez vous le lendemain pour le pique nique. Il était aux anges et son copain lui dit que la brune l’attirait beaucoup. C’est vrai qu’elle avait de la classe en plus d’être mignonne et paraissait super gentille. Les filles du coin étaient plutôt chipies, ce qui n’était pas son cas, ni sûrement celui de sa petite sœur, sa princesse. Ils allaient partir tôt le lendemain car il avait huit kilomètres a faire a pied, enfin un peu moins en coupant par la campagne, a condition de bien s’orienter.
Ils étaient tous euphotiques en quittant les tentes, le ciel était bleu, il faisait chaud mais ils étaient vêtus en conséquence, et ils chantaient a tue tête du Brassens en traversant les champs – il connaissait encore par cœur « le fantôme », « la fessée », ou « le moyenâgeux » -. Ils courraient, quelquefois cueillaient des fleurs, se lançaient de petits défis, se querellaient gentiment. Ils planaient sur la vallée. Ils arrivèrent assez tôt sur la petite place de ce village inconnu, accueillant et sympathique et s’assirent sur un banc a l’ombre, délégant son copain pour annoncer leur arrivée. Il resta un bon moment absent, mais ils n’étaient pas pressés et se savaient en avance, et puis les filles c’est plus long pour se préparer, ils le savaient tous.
Ils n’osaient pas chanter pour ne pas déranger les villageois qui passaient le nez a la fenêtre pour jauger ces nouveaux venus. Ils se voulaient présentables et fréquentables, pour une fois qu’ils étaient tombés sur un nid de filles apparemment non gardé. Elles sortirent a quatre, en compagnie de son copain et portaient les paniers de pique nique. Eux n’avaient rien apporté, ils étaient invités. Ils en avaient beaucoup discuté et avait décidé de venir les mains vides et de rendre l’invitation plus tard. Il fallait la jouer stratégique comme ils disaient...et les filles ne furent pas choquées. Le lieu était assez éloigne, ils traversèrent notamment une petite foret en marchant a la queue leu leu.
C’est a ce moment que son copain le prit a part, ils s’étaient retrouvées les derniers de la file et lui dit que la grande sœur ne voulait pas qu’il sorte avec la petite sœur qui était trop jeune. Il avait cherche en vain les yeux de sa princesse lorsqu’ils s’étaient vus et les baisers sur les joues avaient été furtifs. Il comprenait mieux maintenant et cela le désespéra. Il ne voulait aucun mal a sa princesse, juste être près d’elle, lui parler, danser, la prendre dans ses bras. Il reprocha vertement a son copain de ne pas l’avoir défendu, de ne penser qu’a lui qui pouvait « sortir » avec la grande et jolie sœur brune, pendant que lui devait rester seul.
Pendant ce passage dans la foret, il perdit son petit singe, une petit peluche offerte par sa sœur qu’il portait a la ceinture. Quelle journée, si bien commencée et si mal poursuivie, et elle n’était pas finie. Le pique nique fut joyeux, sauf pour sa princesse et lui, gênés, ne se regardant pas, ne se parlant pas. A part eux deux, seuls son copain et la sœur étaient au courant et cela ne semblait pas les empêcher d’être gais et heureux. Il ne se rappela pas de ce qu’ils avaient mangé ou bu, il était en pilotage automatique et essaya de faire bonne figure, mais le cœur n’y était pas et il fut soulagé, quand, après avoir raccompagné les filles chez elle en milieu d’après midi, ils quittèrent le village.
Rendez vous avait été pris pour le prochain bal ; les filles n’étaient pas disponibles avant à cause d’une réunion familiale. Elles allaient quitter le village et y revenir pour la fin de semaine. Le retour fut moins joyeux que l’aller, uniquement de sa faute, il passait son temps a reprocher son attitude a son copain qui au bout d’un moment le menaça de lui casser la gueule si il continuait. Il ralentit alors, laissant les autres prendre de l’avance sur lui qui les suivait a une trentaine de mètres, juste pour ne pas entendre ce qu’ils se disaient. Il était triste, fatigué et se sentait trahi. Il envisageait même de repartir chez lui, les plantant la., et puis marcher le calma.
Après tout, personne ne verrait les filles avant le samedi prochain et ça lui laissait du temps pour réfléchir a cette situation. Il s’en voulut de ne pas avoir discuté avec sa princesse, de ne pas lui avoir demandé ce qu’elle pensait de l’attitude de sa sœur. En ne faisant rien, il avait pu lui laisser penser qu’il abandonnait, qu’il ne tenait pas à elle. Quel idiot il était, il s’était défaussé sur son copain au lieu de réagir, de lui montrer qu’elle était sa princesse. Du coup, il rejoignit ses amis, à leur grande joie, surtout de son copain. Ils s’isolèrent un peu avant d’arriver pour vider leur querelle, il s’excusa platement et reçu une tape amicale sur l’épaule en guise de pardon.
En fait, il ne s’était rien passé non plus entre son copain et la jolie brune, sauf qu’ils avaient passé un bon moment ensembles alors que lui avait gâché cette rencontre. Il se jura de réussir la suivante et cela lui mis du baume au cœur. Ils n’en parlèrent plus de la semaine et repris leurs relations amicales. Ils aidèrent a l’auberge qui recevait un repas de noce, ce qui leur procura de l’argent de poche et quelques bouteilles de vin rosé pour accompagner leurs repas. Pour les tenir au frais, ils les mettaient dans la rivière peu éloignée de leurs tentes et personne ne vint jamais en chaparder une. Ils n’abusaient pas de l’alcool, aucun d’entre eux n’ayant d’inclination pour la bouteille. Ils fumaient, et lui avait troqué ses gitanes sans filtre pour un pipe, sans doute pour faire comme son copain, cette habitude le quittant d ‘ailleurs des qu’il redescendait en ville.
Pendant la noce, deux d’entre eux servaient les tables et les autres, dont lui, étaient à la plonge. Quand des années plus tard le jeune frère de son copain et lui travaillèrent dans un camping pour disposer gratuitement de leur emplacement et de leurs repas, il continua la plonge laissant son ami servir à table. Ils participèrent un autre jour à un concours de pétanque ou ils ne brillèrent pas particulièrement mais passèrent un bon moment à jouer, plaisanter et rire. Les deux autres journées d’attente furent occupées à pêcher la truite, chaparder des fruits, surtout des framboises, se balader en chantant dans des directions qu’ils découvraient , jouer aux cartes, draguer sans espoir quelques filles du village et lire a l’abri de la tente ou à l’ombre des arbres quand il faisait trop chaud pour faire autre chose.
Le samedi, jour du bal, arriva plus vite qu’il ne l’aurait pensé. Il était bien décidé a danser toute la soirée avec sa princesse et à la serrer dans ses bras ; il n’y avait aucun mal à ça, et son copain en était d’accord, il s’occuperait – avec plaisir- de la grande sœur.
Ils se levèrent tôt, comme parfois, visitèrent le boulanger pour sa première fournée et dégustèrent le pain chaud avec de la confiture trempée dans des grands bols de café pour leur petit déjeuner. Ils savaient qu’un tournoi de belote était organisé a l’auberge et y participèrent, ils y jouaient parfois entre eux, mais plus souvent au tarot ou a la manille, le rami étant plutôt réservé aux réunions familiales. Ils réussirent à ne pas trop picoler, contrairement aux autres joueurs et jouèrent et perdirent une demi finale.
« Vous êtes meilleurs aux cartes qu’aux boules les jeunes ! ». « Oui et on est encore plus forts sur une piste de danse ! ». L’après midi passa rapidement et ils eurent juste le temps de se changer avant de partir à pieds vers le village du bal du soir. Ils étaient tout heureux de revoir les filles, surtout son ami et lui, désireux de conter fleurette aux deux sœurs. La bal se déroulait sous un assez grand chapiteau, ce qui était plutôt rare et il y avait bien plus de monde que d’habitude, ce qui lui convenait parfaitement pour avoir une chance de pouvoir s’isoler un peu sur la piste avec sa princesse.
La chance était avec lui, il le sentait. Elle était habillée d’un petit chemisier a fleurs a manche courte avec un col un peu arrondi- le dernier bouton était défait- et un petit jeans léger avec des tennis. Ses jolis cheveux caressaient le haut de ses épaules avec une petite ouverture qui lui découvrait un petit bout de front. Il ne voyait qu’elle, elle volait au dessus de la fête et il entendait des bruits, de la musique et des conversations, quelquefois des voix connues. Lui était comme d’habitude avec une chemise blanche a manches courtes et son jeans crème, sa tenue fétiche, il avait les cheveux assez courts a cette époque là et ne portait pas encore de lunettes.
Comme prévu, son copain entraîna la sœur sur la piste assez loin d’eux, il savait qu'il ne faisait rien de mal et que la situation ne pourrait se retourner contre lui. Ils commencèrent à danser sans se parler, leurs mains et leurs yeux s’effleuraient et c’était délicieux. Après quelques danses qu’il oublia vite, il y eu un slow et il la serra contre lui, ses mains pressant légèrement son dos. Il sentait son petit corps contre lui, sa douceur, son parfum. Il lui sembla qu’elle tremblait autant que lui, sa tète posée sur son épaule. Il comprit ce que voulait dire l’expression « être seuls au monde ». Elle était si légère et pourtant remplissait son cœur, il voulait que cela dure toujours.
Il n’osa pas ensuite raconter tout cela a son copain et s’en tint a l’essentiel : il l’avait embrassée sur les lèvres, son premier baiser, le sien aussi, leur premier baiser et ils sut instinctivement qu’il ne l’oublierait jamais. Il ne savait plus le décrire, ils avaient sans doute été maladroits, peut être gênés. Il la serra très fort ensuite et elle se serra contre lui. Ils ne souvint plus des autres danses et du reste de la soirée, juste de leur dernière danse, une polka, les filles devaient rentrer et redescendaient en ville le lendemain. Ils se séparèrent, elle avait les larmes aux yeux et lui essayait de faire bonne figure.
Baisers sur les joues et au revoir et la nuit lui enleva sa princesse. Le reste de leur séjour ne lui laissa aucun souvenir, et pour une raison qu’il ne comprit jamais, il resta sur le constat que sa belle était trop jeune et qu’il ne pourrait pas la revoir avant longtemps. Elles habitaient dans une ville voisine de la leur et il n’accompagna pas son copain quand celui ci rendit visite a la jolie brune. Il ne se le pardonna jamais, car il laissa ainsi échapper sa princesse qui trouva quelqu’un pour la consoler. Quand il se réveilla, il n’y avait plus de princesse pour lui. Elle resta longtemps dans son cœur et elle y était encore aujourd’hui, cette belle jeune fille, son premier baiser.
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